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Les débuts de la vie conjugale dans la roulotte avec leur bébé furent parait-il difficiles, la jeunes mariée n'est pas du genre à se laisser mener, même si la belle-maman affichait sa mine revêche, pas question d'obéir a qui que ce soit et si les repas ne conviennent pas, que le jeune homme mange de préférence chez ses parents, les plats volent par la mini fenêtre de la roulotte ; les éclats de voix sont familliers déjà mais la vie quand même leur donne des moments intenses qu'aucun des deux ne connaissaient avant. Mon père, enfant des manèges avant moi, n'avait jamais été heureux, il vivait avec son père et sa belle-mère, son frère et sa demi-soeur parmi ces gens du voyage depuis, sa véritable génitrice partie sans laisser d'adresse laissant les deux fils aux soins d'une grand-mère foraine à moitié folle : pour apprendre à lire, par exemple elle les obligeait à lire et relire de vieilles lettres qu'elle collectionnait sous son lit et quand ils ne s'en sortait pas, une horrible punition les attendait : elle chauffait le tisonnier dans le petit poêle à charbon et leur appliquait sur les genoux.
Quand vint le froid et l'humidité de l'hiver, la petite fille prit froid et failli mourir, ce qui obligea maman et bébé à revenir vers la boucherie y retrouver chaleur, réconfort, et nourriture plus que protéinée ! Et oui la vie de bohème n'a d'exotique qu'en été et la chaleur d'un foyer stable tellement tentant que maman décida papa a trouver au plus vite un travail à l'année fixe aux revenus constants.

Nous voici donc tous trois catapultés en ville : Annapes, banlieue lilloise, nouveau quartier, des tours, des immeubles, de grandes avenues larges et boisées, des familles ouvrières, des H.L.M entourant des bacs à sable boueux, emplis de pisse de chien et de vers de terre, de petits café surpeuplés à la sortie des usines sentant la fumée et l'alcool. Quinzième étage, l'avant dernier d'ailleurs, nous étions chez nous : une petite salle à manger, une minuscule cuisine, deux chambrettes et au dessus l'étage du linge : tous les occupants peuvent venir étendre le linge sur d'immenses cordes aux quatre vents entrant par les ouvertures de chaque côté de l'immeuble. Courir entre les draps humides, sentir la bonne odeur du linge lavé, jouer avec les pigeons qui entrent et gloussent autour de nous, chassés par les ménagères affairées. Maman me cherche tout le temps, nous ne venons au séchoir qu'une fois par semaine ; dommage car c'est ma distraction préférée, je déteste le bac à sable et je déteste la petite école où ma mère me laisse ; je déteste les enfants, j'ai peur d'eux, je ne leur parle pas, je les regarde s'amuser, courir, jouer ensemble, je ne veux pas leur parler. un enfant est comme moi : il porte le même prénom et il ne parle pas ; il est venu me toucher l'épaule et me montrer quelque chose, je le suis et il me fais des gestes : il ne peut pas parler. Dominique et moi, nous restons tout le temps ensemble pendant la recrée, mais les autres ne nous aiment pas, on ne joue pas avec eux, alors ils nous courent après avec aux bouts de bâtons des orvets énormes qui nous font peur. Je les déteste de plus en plus, surtout parce qu'ils crient sur mon ami, lui disent des choses horribles et se moque de nous. Je les déteste vraiment. Dominique n'est pas dans ma classe ; je suis assise au bout, derrière les autres et je regarde la maîtresse qui est très gentille mais je rêve, je n'écoute pas et je me sens très petite et comme un étrange enfant au milieu de la classe. Un jour je ne peux plus attendre la recrée j'ai très envie d'aller faire pipi mais la timidité me ronge, je n'ose pas lever le doigt ;  quelques minutes plus tard, je le lève quand même, je demande à sortir mais quand tous les enfants se retournent et que la maîtresse me dit oui, je suis tétanisée et il me faut un effort surhumain pour réussir à sortir de la pièce et arriver aux minuscules toilettes pour petits. A peine assise sur le W.C. toute une classe arrive avec deux dames qui parlent aux enfants et les aident pour les toilettes et le lavage des mains ; je ne peux plus sortir, suis cloîtrée, je ne veux pas qu'ils me voient, ne répond pas aux dames qui me demandent si ça va, mon malaise s'aggrave, je ne sait plus quoi faire, alors j'attends, ne parle pas...ma maîtresse arrive, leur dit de me laisser, que je suis timide et que je sortirais tôt ou tard. J'attends tétanisée que la cloche annonce la recrée et je me précipite dans la cour, je cherche Dominique, je n'ai pas peur de lui, il me sourit, je lui sourit aussi : tout va bien. Je ne l'oublierai jamais.

Le soir quand il fait beau, nous allons, maman et moi chercher papa à la sortie de l'usine où il travaille maintenant. Je trouve que c'est bizarre : tous les papas qui sortent de l'usine ensemble, en même temps quand leur cloche sonne, comme à l'école.Quand il fait chaud, tout autour de l'usine de papa, l'air est empli d'une odeur très spéciale : une odeur prégnante de chaud, de brûlé, une odeur de sueur et de travail harassant, une odeur de papa qui travaille. Il me raconte, tout fier qu'il fabrique maintenant des tapis en caoutchouc, des tapis qui ne s'usent pas, qu'il va gagner de l'argent tout de temps, que tout irait bien. Du coup j'ai eu un petit frère, pourtant je ne voulait pas : un jour ma grand-mère vient à la maison me garder et m'emmène à l'hôpital voir maman : elle a un bébé dans ses bras, elles me disent toutes les deux que c'est mon petit frère mais je regarde la dame qui est sur le lit d'à côté avec un bébé dans les bras et je dis : je préfère celui là ; ça ne les fais pas rire, il parait que l'autre est une fille et que le bébé garçon est mon frère. Tant pis. Il vient à la maison avec maman et je ne serais plus jamais tranquille. J'avais trois ans déjà ; j'aimais marcher jusqu'à l'usine de papa, accrochée à la poussette de mon frère, écraser les feuilles mortes des grands châtaigniers le longs des avenues, écouter le vent entrer dans le séchoir et jouer avec les pigeons, faire la dinette avec mon ami Dominique sans dire un mot, regarder Thierry la Fronde et Nounours à la télévision, croire au Père Noël, manger des fruits quand maman pouvait en acheter. Je n'aimais pas les autres enfants, le bac à sable, regarder les immeubles d'en bas, l'odeur de l'usine de papa, l'odeur du café où on le retrouvais parfois.

Un an plus tard je suis très malade, une fièvre incroyable me terrasse ; personne ne peux me soigner, ça s'aggrave, les médecins en ville ne savent pas quoi faire. Mes grands-parents forains conseillent leur médecin de famille ; seul médecin au village. On m'y amène dans la 2CV que mes parents ont achetée dernièrement et le médecin trouve : j'ai un abcès au poumon droit suite à une coqueluche enraillée par le vaccin : un coup de pas de chance. Le traitement est de cheval : piqûres de pénicilline pratiquées par une soeur infirmière zélée et en cornets ; séances de tapes dans le dos pour cracher, allongée au bord de la table de la salle à manger, à moitié pendue dans le vide. J'en sort vivante mais plus tard bronchite, asthme et poumon dilaté nuisent à ma scolarité.

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